05 janvier 2024

Pause ?

 Vous le voyez, ce blog est en pause apparente. Mais je ne renie aucun de ces billets dont les mots clés vous donnent des centaines de clés d’entrée. 

Depuis quelques années j’ai basculé vers Facebook mon écriture y trouvant plus d’interactions fécondes. 

À paraître néanmoins dans quelques semaines mon nouveau livre « J’ai joué de la flûte » qui présentera le fruit de ces discussions sous forme numérique gratuite et papier à prix coutant…




30 septembre 2022

56 ans de lecture et d'écriture ? 123 livres ?

Vous trouverez ici petit récapitulatif mis à jour de mes publications sous ma signature*
(Le numéro correspondant plus ou moins à l'ordre approximatif de publication, chez Lulu.com / Createspaces / Kindle / Amazon ou Kobo, voire Googleplay et Itunes).
Sachant que je bascule progressivement toutes mes « lectures pastorales » et la plupart de mes romans en téléchargement gratuit sur kobo (cf.lien) et  sur Fnac.com.

A - Conjugalités

2. Bonheur dans le couple, tome 1, 2004
3. Bonheur dans le couple, tome 2, 2005
30. Couple en crise, des pistes pour rebondir (2ème édition, avec le 29 en bonus)
52. A deux vers le mariage, un résumé du 2 et du 3
53. Marions-nous, Editions de l'Atelier
54. Sposiamoci! Editions Paoline (traduction italienne du n°53)
55. Nos Casamos... Editions CCS (traduction espagnole du n°53)
61. Chemins vers le mariage (collectif, Bayard, dir. S. Kerrien)
90. Aimer pour la vie, Essai de spiritualité conjugale, réédition de Bonheur dans le couple, tome 2, 2015


B - Recherches théologique et pastorale
1. Le troisième arbre, 1996
4. Pastorale du seuil, 2006
5. Retire tes sandales, une lecture de la trilogie de Balthasar, 2007
7. La voix d'un fin silence, études sur les théophanies, 2009
9. Chemins d'humanité, chemins vers Dieu (Recueil des n°2, 3, 4)
10. J'ai soif, tome 1, 2009
11. J'ai soif, tome 2
12. Chemins de prière
14. Les mains vides
15. Chemins de liberté
18. Dieu de faiblesse
19. L'amphore et le fleuve (Recueil contient les n° 5, 10 à 15, 18)
21. La danse trinitaire
22. Symphonie trinitaire, complément du 21
23. Le dernier pont, une première lecture de l'évangile de Jean
24. Cette église que je cherche à aimer
25. A genoux devant l'homme, reprise des 21 à 23
62. Chemins de miséricorde, une lecture de Luc - epub gratuit...
63. Chemins d'Église..., une lecture pastorale des Actes, septembre 2014 - epub gratuit...
64. Way of humanity, ways toward God (traduction du n°4)
48. Mort pour nous
49. La course infinie, sur Grégoire de Nysse
50. Quelle espérance pour l'homme souffrant ?, mon mémoire de licence...
51. Réflexions sur l'engagement, reprise d'une conférence à Nice
87. Évangile de Marc, version Crampon commentée, 2000-2014
88. Serviteur de l'homme, une lecture commentée des lettres de Paul - epub gratuit, 2014
91. Chemins croisés, une lecture commentée de Matthieu (lecture synoptique et transversale), 2015
92. Chemins d'Évangile, une lecture commentée des quatre évangiles (ce livre rassemble les n° 25, 62, 87 et 91), 2015
93. Où es-tu mon Dieu, Souffrance et création, un complément des travaux publiés au n° 8 et 50
96. Le chemin du désert, un itinéraire spirituel (version Kindle à prix très réduit)
97. Sur les pas de marc, une lecture commentée de l'évangile de Marc (version Kindle, petit prix)
98. La dynamique sacramentelle, une réflexion intra-synodale sur le mariage. (Version Kindle)
99. Sur les pas de Jean, une nouvelle lecture commentée de l'évangile de Jean (cf. n° 25)
108. Nouveau testament commenté, tome 3 (Les lettres attribuées à Paul
109. Humilité et miséricorde - Tome 1 : L'humilité de Dieu (qui reprend "Sur les pas de Jean")
110. Humilité et Miséricorde - Tome 2 : Décentrement et communion
111. Humilité et Miséricorde - Tome 3 : Miséricorde, un chemin en Eglise
112. Lire l'Ancien Testament, tome 1 - une lecture pastorale des livres d'Osée et de la Genèse (Os, Gn)
113. La dynamique sacramentelle - nouvelle édition (98 - largement revue et corrigée)
114. Nouvelle édition de "Le chemin du désert"
115. Dieu n'est pas violent,  lire l'Ancien Testament, tome 2 (à partir des travaux publiés en 10,11 et 19)
119.  Pédagogie divine - Chemin de lecture  pastorale (Osée, Genèse, Exode, Théophanies, Év. Marc)
120. Le Rideau déchiré 
121. Dieu dépouillé 
122. Danse avec ton Dieu (cf. plus bas)

C - Romans et nouvelles
6. Le cheval d'écume, première nouvelle, 2008
8. Les enfants de l'Avre, roman historique, 2009
13. Les amants de l'Avre, nouvelle
16. La perle, nouvelle
17. Simon le Vieux, complément précédant le n°8
20. Le collier de Blanche (Recueil contient les n°2, 3, 4, 60)
26. Le vieil homme et la perle, tome 1, une pastorale des divorcés remariés
27. Le vieil homme et la perle, tome 2
28. Le désir brisé, le vieil homme et la perle, tome 4
29. Au coeur du silence, nouvelle.
31. La barque de Solwenn, tome 1 - Variation romanesque du n°50
32. Maria la Rousse, tome 2
33. La souffrance d'Elena, tome 3
34. La Marie-Jeanne, tome 4
35. Magda la douce, tome 5
36. Renaissance, tome 5
37. Le chant du large (Recueil des n°31 à 36)
45. La Mulotière
56. Les deux fils
57. Au coeur de la vallée (Recueil : n°13 et 56)
60. Les enfants de Lanville
65. Papillons de feu, recueil des n°20, 45 et 57...
89. La dernière valse, nouvelle, epub gratuit sous Kobo/Fnac
94. Le pont des planches, nouvelle
95. Les tisseuses de l'Avre, nouvelle
101. La caresse de l'ange, roman
103. La danse des anges, roman et bonus (101 + 93)
104. D'une perle à l'autre, roman fleuve en 2 tomes (dont 94, 6, 26, 16) puis  (28, 101, 103)
107. Histoires en vallée d'Avre (recueil dont 8, 17, 20, 95)
117. Le mendiant et la brise - Dialogue avec Yasmina, essai de dialogue interreligieux (Variation sur la perle - n.16)
Intégré dans le n. 104

D - Contes pour enfants
38. Léo l'écureuil, premier conte pour enfant
39. Jeannot du Bec, 2ème conte "pastoral"
40. Samuel, le lièvre dans la vallée, septembre 2014
116. Silo le berger, un conte de Palestine, décembre 2017

E - Thrillers à contenu progressivement théologique
41. La danse de l'espionne
42. La danse tragique (suite du 41)
43. Le choix de Léa (suite du 42)
44. La danse fragile (41 et 42)
58. Fragilités, suite du n°43
59. Léa (Recueil : n° 43 et 58) - Variation romanesque du n°53
Sous un autre nom de plume : 66 à 86, 100, 102, 105, 106, 118..*

* Il est de notoriété publique que j'ai une bonne vingtaine "d'enfants" illégitimes, parus sous nom d'emprunt car trop différents de la série présentée ici :-)


Si vous n'avez pas toute la collection, n'hésitez pas à demander des e-pubs...
cf. aussi www.avre-passion.fr et notamment www.avre-passion.fr/romans

Précisions sur la mise à jour de mai 2017 :
La trilogie des "Lectures pastorales" est devenu une longue saga qui compte maintenant :
1- A genoux devant l'homme, (Jean) 2012 - troisième édition en 2020.
2- Chemins de miséricorde, (Luc) 2013
3 - Chemins d'Eglise (actes des apôtres)

4 - Serviteur de l'homme, kénose et diaconie (lettres de Paul) 2014
5 - Sur les pas de Marc, 2015
6 - Sur les pas de Jean, 2015
7 - Chemins croisés (Matthieu), 2015
8 - Chemins d’Évangile (Les 4), 2015
9 - Le chemin du désert (de Gn et Ex à Mat 4 et Jn 21)
10 - Nouveau testament commenté, tome 3 (autres lettres)
Elle intègre dans la même collection la trilogie "Humilité et miséricorde", 2016
11. L'humilité de Dieu, tome 1
12. Décentrement et communion, tome 2
13. Miséricorde, un chemin en Église, tome 3
14 - Lire l'Ancien Testament, tome 1 - une lecture pastorale des livres d'Osée et de la Genèse, 2016
15 - Dieu n'est pas violent,  lire l'Ancien Testament, tome 2 (à partir des travaux publiés en 10,11 et 19)
16 - Chemins de prière, nouvelle édition - lire l'Ancien Testament, tome 3 (les psaumes)
17 - Pédagogie divine - Chemin de lecture  pastorale (une version synthétique des tomes 14, 15 et une relecture du n°5).
18. Le rideau déchiré - nouvelle édition revue de Sur les pas de Marc (extrait du tome 17)
19. Dieu dépouillé sur kobo (cf.lien) qui reprend en un volume gratuit, les numéros 14, 15, 17, 18, 2 et 5
20. Danse avec ton Dieu qui reprend la plupart des billets publiés ici de mai 2020 à juin 2022
21. En route vers la Galilée - un résumé des deux premiers tomes de ma grande trilogie (cf. 19)




En lisant les tomes 17, 8, 3, 4, 10, 11, 12, 13, 9, 15, 16 vous avez aussi plus ou moins l’intégrale.
Mais l’orde est volontairement non imposé...
Vous pouvez aussi commencer par le 5, le 9, le 14 ou le 18 et voir ensuite...
Chacun de ces tomes est disponible gratuitement sur kobo (cf.lien) et  sur Fnac.com  ou à petit prix sur Kindle. Les versions brochées sont vendues à prix coutant ou presque (actuellement surtout disponibles pour une raison qui échappe à l’auteur sur le site anglais et non français d’Amazon).









13 septembre 2022

En cette fête de saint Jean Chrysostome…

 

Nous allons déguster cette semaine le cycle 11sq de Corinthiens et cela a commencé hier fort d’actualité d’une actualité brûlante…

« Frères,

    puisque j’en suis à vous faire des recommandations,

je ne vous félicite pas pour vos réunions :

elles vous font plus de mal que de bien.

    Tout d’abord, quand votre Église se réunit,

j’entends dire que, parmi vous, il existe des divisions,

et je crois que c’est assez vrai,

    car il faut bien qu’il y ait parmi vous

des groupes qui s’opposent,

afin qu’on reconnaisse ceux d’entre vous

qui ont une valeur éprouvée.

    Donc, lorsque vous vous réunissez tous ensemble,

ce n’est plus le repas du Seigneur que vous prenez ;

    en effet, chacun se précipite pour prendre son propre repas,

et l’un reste affamé, tandis que l’autre a trop bu.

    N’avez-vous donc pas de maisons

pour manger et pour boire ?

Méprisez-vous l’Église de Dieu

au point d’humilier ceux qui n’ont rien ?

Que puis-je vous dire ? vous féliciter ?

Non, pour cela je ne vous félicite pas !

    J’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur,

et je vous l’ai transmis :

la nuit où il était livré,

le Seigneur Jésus prit du pain,

    puis, ayant rendu grâce,

il le rompit, et dit :

« Ceci est mon corps, qui est pour vous.

Faites cela en mémoire de moi. »

    Après le repas, il fit de même avec la coupe,

en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang.´Chaque fois que vous en boirez,

faites cela en mémoire de moi. »

    Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain

et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.

    Mes frères, quand vous vous réunissez pour ce repas, attendez-vous les uns les autres. » (1 Co 11, 17-26.31a)


            « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d'eux… »


Oui mais, ajoute saint Jean bouche d’or (Chrysostome) que nous fêtons aujourd’hui « Les vagues sont violentes, la houle est terrible, mais nous ne craignons pas d'être engloutis par la mer, car nous sommes debout sur le roc. Que la mer soit furieuse, elle ne peut briser ce roc ; que les flots se soulèvent, ils sont incapables d'engloutir la barque de Jésus. Que craindrions-nous ? Dites-le-moi. La mort ? Pour moi, vivre, c'est le Christ, et mourir est un avantage. L'exil ? La terre appartient au Seigneur, avec tout ce qui la remplit. La confiscation des biens ? De même que nous n'avons rien apporté dans ce monde, nous ne pourrons rien emporter. Les menaces du monde, je les méprise ; ses faveurs, je m'en moque. Je ne crains pas la pauvreté, je ne désire pas la richesse ; je ne crains pas la mort, je ne désire pas vivre, sinon pour vous faire progresser. C'est à cause de cela que je vous avertis de ce qui se passe, et j'exhorte votre charité à la confiance. ~

N'entendez-vous pas cette parole du Seigneur : Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d'eux ? Et là où un peuple aussi nombreux est uni par le lien de la charité, le Seigneur ne sera pas présent ? J'ai sa garantie : est-ce à ma propre force que je fais confiance ? Je possède sa parole : voilà mon appui, voilà ma sécurité, voilà mon havre de paix. Que l'univers se soulève, je possède cette parole, j'en lis le texte : voilà mon rempart, voilà ma sécurité. Quel texte ? Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps.

Le Christ est avec moi : que vais-je craindre ? Même si les flots de la mer ou la colère des puissants s'élèvent contre moi, tout cela est aussi peu de chose pour moi qu'une toile d'araignée. Et sans l'amour que j'ai pour vous, je n'aurais pas refusé de partir aujourd'hui même. Car je ne cesse de dire : Seigneur, que ta volonté soit faite. Non pas ce que veut un tel ou un tel, mais ce que tu veux. C'est là ma citadelle, c'est là mon roc inébranlable, c'est là mon appui solide. Que la volonté de Dieu se fasse. S'il veut que je reste ici, je rends grâce. Quel que soit le lieu où il me veuille, je le bénis. ~

En quelque lieu que je sois, vous y êtes aussi : le corps ne se sépare pas de la tête, ni la tête du corps. Si nous sommes éloignés par la distance, nous sommes unis par la charité et la mort elle-même ne pourra couper ce lien. Si mon corps vient à mourir, mon âme restera vivante et se souviendra de mon peuple. ~

Vous êtes mes concitoyens, vous êtes mes pères, vous êtes mes frères, vous êtes mes enfants, vous êtes mes membres, vous êtes mon corps, vous êtes ma lumière, et même vous êtes plus doux pour moi que la lumière. En effet, la lumière du soleil ne m'apporte rien de comparable à ce que m'apporte votre charité. Le soleil m'est utile à présent, mais votre charité me prépare une couronne pour l'avenir. »(1)


Continuons la lecture de Corinthiens avec le texte d’aujourd’hui :


« Frères, prenons une comparaison : le corps ne fait qu’un, il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps. Il en est ainsi pour le Christ. C’est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, nous avons été baptisés pour former un seul corps. Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit. Le corps humain se compose non pas d’un seul, mais de plusieurs membres. Or, vous êtes corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes membres de ce corps.

    Parmi ceux que Dieu a placés ainsi dans l’Église, il y a premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement ceux qui ont charge d’enseigner ; ensuite, il y a les miracles, puis les dons de guérison, d’assistance, de gouvernement, le don de parler diverses langues mystérieuses. Tout le monde évidemment n’est pas apôtre, tout le monde n’est pas prophète, ni chargé d’enseigner ; tout le monde n’a pas à faire des miracles, à guérir, à dire des paroles mystérieuses, ou à les interpréter. Recherchez donc avec ardeur les dons les plus grands. »


Suivre un fil rouge ?

Il est peut-être là. Dans l’axe de ce que nous proposera dimanche prochain la méditation de l’Ecriture. (2)

Notre richesse, notre trésor c’est de trouver ce qui fait de nous un Corps…le roc…


(1) HOMÉLIE DE S. JEAN CHRYSOSTOME AVANT SON DÉPART EN EXIL (401)

(2) venez manduquer avec nous cette parole dans la Maison d’Évangile - La Parole Partagée

10 septembre 2022

Les trois fils ?

 

Alors que la liturgie dominicale nous conduit à contempler la miséricorde divine, peut-être pouvons nous prendre un peu de recul. Le Père dont nous parle Jésus n’avait que deux fils, ce qui en soit n’était pas très glorieux. Un qui s’en va et l’autre jaloux. Il n’y a pas de troisième fils... 

Peut-être pouvons nous nous poser la question. Pourquoi ?

Plus je contemple ma vie et plus je contemple l’Église plus m’aperçois que nous ne sommes que des ratés que le Seigneur a redressé. L’amour, le vrai, ne vient pas de nous. Il vient de Dieu.

l’Église s’est construite sur des piliers fragiles. Un Paul persécuteur, le reniement de Pierre, une pécheresse pardonnée, trois des nombreux piliers sur lesquels la miséricorde a fait jaillir l’espérance. Nos faiblesses sont l’écrin de nos possibles en Dieu. Car nos échecs sont le terreau fragile où Dieu nous conduit à percevoir que l’amour vient de lui et jaillit, malgré nous, de nos insuffisances. Il faut alors reprendre le chemin de Paul, « oublier le chemin parcouru et se laisser saisir » (Ph. 3) par celui qui est « le Fils », l’unique qui, devant, nous conduit à ce Père aux mains ouvertes qui ne cesse de courir vers nous, avant même que nous pensions revenir à lui.

05 septembre 2022

En route vers la joie ? - 14


Il y a aujourd’hui dans cette fête de la nativité de la Vierge, le prélude fragile d’une incomparable symphonie dont l’aboutissement tragique masque et révèle en même temps l’immensité du don trinitaire. Contempler l’origine, c’est méditer la lente « pédagogie de Dieu » qui d’un être créé, d’un souffle ténu, d’une brise légère, d’un fiat murmuré, prépare le temple de ce fleuve immense qu’évoque Ezechiel. De Bethleem, citée perdue naît l’espérance, nous rappelle la liturgie. C’est là que commence à se déchirer le voile…

Parmi ce mouvement que j’ose définir comme une danse trinitaire (1) où Dieu et l’homme plantent ensemble les germes(2) de l’espérance, on pourra méditer ce sublime extrait de l’homélie de saint André de Crète que nous propose aujourd’hui l’office des lectures :

« Le Christ est l’achèvement de la Loi ; car il nous éloigne de la terre, du fait même qu’il nous élève vers l’Esprit. Cet accomplissement consiste en (...)  en ce qui est léger et libre dans la grâce. (...) 

En effet, c’est en cela que consiste l’essentiel des bienfaits du Christ ; c’est là que le mystère se manifeste, que la nature est renouvelée : Dieu s’est fait homme et l’homme assumé est divinisé. Il a donc fallu que la splendide et très manifeste habitation de Dieu parmi les hommes fût précédée par une introduction à la joie, d’où découlerait pour nous le don magnifique du salut. Tel est l’objet de la fête que nous célébrons : la naissance de la Mère de Dieu inaugure le mystère qui a pour conclusion et pour terme l’union du Verbe avec la chair. ~ C’est maintenant que la Vierge vient de naître, qu’elle est allaitée, qu’elle se forme, qu’elle se prépare à être la mère du Roi universel de tous les siècles. ~

C’est alors que nous recevons du Verbe un double bienfait : il nous conduit à la Vérité, et il nous détache de la vie d’esclavage sous la lettre de la loi. De quelle manière, par quelle voie ? Sans aucun doute, parce que l’ombre s’éloigne à l’avènement de la lumière, parce que la grâce substitue la liberté à la lettre. La fête que nous célébrons se trouve à cette frontière, car elle fait se rejoindre la vérité avec les images qui la préfiguraient, puisqu’elle substitue le nouveau à l’ancien. ~

Que toute la création chante et danse, qu’elle contribue de son mieux à la joie de ce jour. Que le ciel et la terre forment aujourd’hui une seule assemblée. Que tout ce qui est dans le monde et au-dessus du monde s’unisse dans le même concert de fête. Aujourd’hui, en effet, s’élève le sanctuaire créé où résidera le Créateur de l’univers ; et une créature, par cette disposition toute nouvelle, est préparée pour offrir au Créateur une demeure sacrée. »(3)


(1) sur la danse trinitaire voir La dramatique divine chez Hans Urs von Balthasar, les travaux d’Emmanuel Durand sur la Périchorèse et à leur suite mes recherches plus balbutiantes souvent évoquées ici sur ce thème dont mon dernier « En route vers Galilée » https://www.kobo.com/fr/fr/ebook/en-route-vers-la-galilee en version bêta 

(2) logos spermatikos disait saint Justin 

(3) Homélie de saint André de Crête pour la nativité de la sainte mère de Dieu, source office des lectures d’aujourd’hui

03 septembre 2022

Discernement, folie ou don de Dieu ?


Il y a quelques fausses pistes à discerner dans les textes de ce dimanche. La première est de croire que nous pouvons tout résoudre seul. Que nous savons tout, que nous sommes mème capables de parler de Dieu, alors qu’il est à la fois l’inaccessible et le tout proche.

Et en même temps, quand nous reprenons le chemin d’humilité auquel nous conduisaient déjà les textes de dimanche dernier quelque chose se révèle.

Reprenons les textes un à un pour trouver ce que le Seigneur veut nous dire dans le silence.

Où courons nous sans cesse, nous dit le psaume ?

Nos journées passent….

Mais peut-être sont elles futiles… 

un jour qui s’en va, une heure dans la nuit.

Ce n’est qu’un songe ;

dès le matin, c’est une herbe changeante :

elle fleurit le matin, elle change ;

le soir, elle est fanée, desséchée.

Apprends-nous la vraie mesure de nos jours :

que nos cœurs pénètrent la sagesse.


La première lecture insiste dans la même direction. 

Quel homme peut découvrir les intentions de Dieu ?

Qui peut comprendre les volontés du Seigneur ?

Les réflexions des mortels sont incertaines,

et nos pensées, instables ;


Dans cette même direction les deux paraboles de l’Evangile rappellent la folie de nos actes. Nous entreprenons des combats, construisons des tours, mais sans discerner l’essentiel.

Prendre le temps d’évaluer, de peser, de compter nos forces…

Nous reprenons, avec la rentrée, le chemin de l’école, du travail, de belles intentions. Prenons le temps du silence, de l’écoute, du discernement ?

Cherchons cette liberté de cet Onésime de la deuxième lecture, qui a trouvé chez Paul la véritable liberté.


C’est peut-être là que le basculement doit se faire.

Notre force, notre sagesse n’est rien si nous ne n’acceptons pas des renoncements pour discerner, renoncer et peut être de quitter pour mettre en premier ce à quoi Dieu nous appelle.

Quitter, mourir à cette course futile, à ces attaches qui nous entravent, pour prendre notre « croix » celle de l’amour du frère, de la véritable charité, de l’humilité ou autrui et premier et où l’Esprit vient alors bouleverser nos petits calculs humains dans une autre direction, celle où Dieu seul nous conduit…


Notre raison s’ouvre alors à cette folie dont parle Paul…

Si nos raisonnements sont toujours l’antichambre du pessimisme, la folie du christianisme c’est de soulever sa croix, sortir du raisonnable bien installé pour faire le saut de la foi.

Là il ne s’agit pas d’un petit pas, mais d’un changement radical. Presque impossible.

Impossible à l’homme mais folie en Dieu…si l’Esprit nous embrase véritablement dans cet amour auquel Dieu nous appelle.

Philémon, tes raisonnements humains, ta vision sur Onesime est faussée, dit Paul. Il n’est pas l’esclave que tu croyais, il est ton frère ! Là est la folie de Dieu.


Renonçons vraiment à nos petits raisonnements humains.

Arrêtons de nous juger nous mêmes et surtout autrui sur l’apparence 

La folie de Dieu c’est de quitter nos attachements stériles, renoncer au confort de notre propre vie pour vivre en véritable disciple du Christ.

Cela ne nous conduit pas à mépriser nos frères, nos sœurs, nos pères, mais à changer de perspectives. Être disciple du Christ c’est changer de calculs, oser la folie d’un amour large, la folie de l’espérance, la folie de la charité et la folie de la foi qui nous vient de Dieu.

Si nous calculons nos forces à la manière des hommes nous n’irons pas loin.

Si nous mettons notre force en Dieu, l’Esprit nous conduira là où Dieu nous attend.

30 août 2022

En route vers l’indicible

 En route vers l’indicible ?

Sommes-nous capables de concevoir la résurrection ? C’est une question qui reste d’actualité, alors que des enquêtes montrent que peu de chrétiens veulent y croire, alors qu’il s’agit d’un des piliers de notre foi. 

Je trouve à ce sujet la conclusion de Zumstein, dans son tome 2 sur Jean à la fois juste et un peu dure pour Marie de Magdala. Selon lui, elle « n'est pas en mesure de parvenir à la foi par elle-même. Seule l'initiative et la parole du Ressuscité créent la possibilité de croire. La foi demeure un don. » (1) 

Il a un probablement raison, mais néglige le chemin déjà parcouru par cette femme. Il faut pour moi retracer, comme le fait si bien Sylvaine Landrivon (2) , la route qui va de Béthanie au Golgotha pour percevoir que Marie a déjà été aussi loin que possible sur « la route de Galilée ».

Dans son onction du chapitre 12, elle est la première à sentir ce qui s’annonce et son agenouillement, comme je le souligne dans mon livre (3) est déjà anticipation du sens prophétique de sa mort. 

Plus que des disciples fuyards, elle est tout proche du mystère. Il lui manque l’indicible, la révélation que ce que Jésus a permis de révéler en « relevant » Lazare peut être encore dépassé. 

On ignore d’ailleurs ce qu’est devenu son frère et ceux qui suggère que le quatrième évangéliste, celui que Jésus aimait n’est autre que Lazare lui même donne à penser. 


Je poursuis, néanmoins ma citation de Zumstein et le rejoint quand il souligne que « La parole du Christ portant sur l'identité de Marie (...) débouche sur une mise en responsabilité : elle est le premier témoin appelé à répandre le message pascal, le premier apôtre [comme l’affirme Thomas d’Aquin]. Elle endosse le rôle qui est dévolu à Pierre dans la tradition paulinienne. Cette première apparition montre également au lecteur comment il doit concevoir l'événement de la résurrection. Comme le montre le motif de la méprise - Marie confond Jésus avec le jardinier - puis le fameux « ne me touche pas », la résurrection ne doit pas être conçue comme la réanimation du cadavre de Jésus. Le Ressuscité est à la fois en continuité et en discontinuité avec le Jésus terrestre. Il cesse d'être une personne historique qui vit à l'intérieur du monde. Désormais, il appartient au monde divin et sa rencontre advient sous des formes entièrement nouvelles. Seul celui qui a fait le deuil de Jésus peut rencontrer le Ressuscité. C'est la raison pour laquelle Jn interprète la résurrection comme élévation. Par élévation, il faut entendre, d'une part, que le Christ n'appartient plus à ce monde, mais, d'autre part - et précisément pour cette raison, que la révélation a atteint son terme. Le chemin du Christ terrestre est achevé; la révélation advient désormais sous la forme du témoignage » (4) porté par l’Esprit.


Reste peut-être à manduquer, un pas plus loin, ce « ne me touche pas ». Pourquoi celle qui a lavé les pieds de Jésus avec un riche parfum est elle privée de cette proximité. C’est dans « La custode » que Teilhard de Chardin va pour moi le plus loin sur ce thème. Comme pour les pèlerins d’Emmaüs, quand on fini par apercevoir le Ressuscité, il disparaît car notre vision ne peut contenir l’indicible. Dieu n’est jamais réductible et comme le suggère Teilhard, dès qu’on a l’impression de le tenir, il nous échappe déjà…


Sur la route de Galilée, laissons nous rejoindre dans nos incompréhensions et nos crises de foi. Il marche avec nous, nous dévoile les Écritures, mais quand il rompt le pain, il nous laisse un manque, un vide. Car notre route vers la Galilée éternelle reste à parcourir. 



C’est peut-être par là que je vais conclure ma route vers la Galilée dont je vous ai partagé quelques extraits. (5)


(1) Jean Zumstein, L’évangile selon saint Jean (18-21) Labor et Fides, Genève, 2007, p.281

(2) Sylvaine Landrivon Les leçons de Béthanie, cerf 2022

(3) En route vers la Galilée

(4) Jean Zumstein, ibid. 

(5) mon travail estival (400 pages) est maintenant disponible gratuitement en téléchargement sur Kobo et attend vos commentaires 

https://www.kobo.com/fr/fr/ebook/en-route-vers-la-galilee

Là version papier brochée à prix coutant est disponible ici : https://www.amazon.fr/En-route-vers-Galil%C3%A9e-Pastorales-ebook/dp/B0BF4SBWD8/

26 août 2022

En route vers la Galilée - vers une conclusion

 

Je viens de terminer un premier jet de cette nouvelle réédition des deux premiers tomes de ma trilogie (1) que j’avais prévu d’écrire cet été. 

À quoi suis-je arrivé ? A partir de "Dieu dépouillé", ce livre fleuve de 1700 pages publié en numérique, il y a quelques années, j’ai écrémé l’essentiel en 450 pages, et, ce faisant, retraversé une fois encore cette Écriture,  ces textes fondateurs qui ne cessent de m’interpeller depuis 20 ans, dans cette lente manducation que je voudrais partager de la « pédagogie divine » qui court d’Osée à Jean.

Un écrémage douloureux vers l’essentiel… qui méritera encore une nouvelle passe pour être « grand public », mais que je considère déjà plus accessible.

Ce travail s’inscrit en préparation dans une réflexion plus large à laquelle j’ai été convié sur une refonte de l’approche catéchuménale.

Relire l’Écriture, manduquer encore ces textes, c’est s’exposer au risque d’être à nouveau touché jusqu’aux jointures de l’âme par la Parole.

Il m’aurait fallu plus de temps. Et pourtant, sur ma route, quelques graines ont germé.

Mercredi je reprends ma vie plus agitée entre travail et pastorale. Il ne me restera que quelques nuits d’insomnie pour avancer.

La conclusion du livre pourrait être ce texte magnifique de saint Colomban que m’offre l’office des lectures d’aujourd’hui 


LE CHRIST, SOURCE DE VIE,  PAR SAINT COLOMBAN

« L'eau vive qui jaillit pour la vie éternelle » Frères, suivons notre vocation : à la source de la vie nous sommes appelés par la vie cette source est non seulement source de l'eau vive, mais de la vie éternelle, source de lumière et de clarté. D'elle en effet viennent toutes choses: sagesse, vie et lumière éternelle. L'auteur de la vie est la source de la vie, le créateur de la lumière est la source de la clarté. Aussi, sans regard pour les réalités visibles, cherchons par-delà le monde présent, au plus haut des cieux, la source de l'eau vive, comme des poissons intelligents et bien perspicaces. Là nous pourrons boire l'eau vive qui jaillit pour la vie éternelle. Veuille me faire parvenir jusqu'à cette source, Dieu de miséricorde, Seigneur de bonté, et que là je puisse boire, moi aussi, avec ceux qui ont soif de toi, au courant vivant de la source vive de l'eau vive. Qu'alors, comblé de bonheur par cette grande fraîcheur, je me surpasse et demeure toujours près d'elle, en disant : « Qu'elle est bonne, la source de l'eau vive; elle ne manque jamais de l'eau qui jaillit pour la vie éternelle ! » Ô Seigneur, tu es, toi, cette source qui est toujours et toujours à désirer, et à laquelle il nous est toujours permis et toujours nécessaire de puiser. Donne-nous toujours, Seigneur Jésus, cette eau, pour qu'en nous aussi elle devienne source d'eau qui jaillit pour la vie éternelle. C'est vrai : je te demande beaucoup, qui le nierait ? Mais toi, Roi de gloire, tu sais donner de grandes choses, et tu les as promises. Rien de plus grand que toi, et c'est toi-même que tu nous donnes ; c'est toi qui t'es donné pour nous. Aussi est-ce toi que nous demandons, afin de connaître ce que nous aimons, car nous ne désirons rien recevoir d'autre que toi. Tu es notre tout : notre vie, notre lumière et notre salut, notre nourriture et notre boisson, notre Dieu. Inspire nos cœurs, je t'en prie, ô notre Jésus, par le souffle de ton Esprit, blesse nos âmes de ton amour, afin que chacun de nous puisse dire en vérité : Montre-moi celui que mon cœur aime, car j'ai été blessé de ton amour. Je souhaite que ces blessures soient en moi, Seigneur. Heureuse l'âme que l'amour blesse de la sorte : celle qui recherche la source, celle qui boit et qui pourtant ne cesse d'avoir toujours soif tout en buvant, ni de toujours puiser par son désir, ni de toujours boire dans sa soif. C'est ainsi que toujours elle cherche en aimant, car elle trouve la guérison dans sa blessure. De cette blessure salutaire, que Jésus Christ, notre Dieu et notre Seigneur, bon médecin de notre salut, veuille nous blesser jusqu'au fond de l'âme. À lui, comme au Père et à l'Esprit Saint, appartient l'unité pour les siècles des siècles. Amen.


Répons

Nous marchons vers toi, source de vie, alléluia ! Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, qu'il boive, celui qui croit en moi : de mon sein couleront pour lui des fleuves d'eau vive. Qui boira l'eau que je lui donnerai n'aura plus jamais soif : cette eau deviendra en lui source jaillissant en vie éternelle.

 

Oraison

Dieu puissant, de qui vient tout don parfait, enracine en nos cœurs l'amour de ton nom ; resserre nos liens avec toi, pour développer ce qui est bon en nous ; veille sur nous avec sollicitude, pour protéger ce que tu as fait grandir.


(1) « Pédagogie divine » et « À genoux devant l’homme » sont disponibles à prix coutant sur le vilain Amazon au format papier et gratuits sur Kobo/Fnac.

"Dieu dépouillé" est en téléchargement gratuit sur Kobo


PS : ceux qui veulent m’aider à relire ce premier jet d’ "en route vers la Galilée" peuvent me le réclamer par MP ( format epub ou pdf) ou le trouver en version bêta sur Kobo

19 août 2022

En route vers la Galilée - 10 - la danse du puits…

 

Jean 4, 1-45 sur La Samaritaine n’est pas en apparence une manifestation extraordinaire de Dieu, mais une scène particulière de la vie de Jésus. Cependant, nos premiers pas à la suite de Jean montrent que rien n’est écrit au hasard chez Jean. Ici, Jean entre notamment en écho à des textes présentés plus haut, dans le cadre de notre analyse de l’Ancien Testament.

Le lieu de la rencontre mérite déjà un commentaire : 

« Près du champ que Jacob avait donné à son fils Joseph. 6. Or, là était le puits de Jacob » 


Ce n’est pas une terre anodine, ni un puits ordinaire, mais celui de cet homme présenté plus haut comme celui qui a lutté contre Dieu (Gn 32, 25), un homme en recherche, un homme simple, y compris dans ses bassesses et à qui, pourtant, revient la descendance des douze tribus d’Israël. L’Évangéliste nous prépare, par cette seule mention, à contempler le récit d’une quête. Notons également que parmi les douze fils, la mention de Joseph, le fils de Rachel, n’est pas neutre, non plus, tant cette figure précède celle du Christ. S’il en est encore besoin, on perçoit par ce détail que Jean n’a pas pour vocation de refaire l’histoire des synoptiques, mais bien de nous conduire, par son récit sur un plan supérieur. 

 

« Jésus, fatigué de la route, s'assit tout simplement au bord du puits » 


Que de fois n’avons-nous pas été fatigués par la vie, harassés par la chaleur de la route et par la sécheresse apparente ? Jésus, lui aussi nous rejoint dans ce temps apparent du désert où l’on ne trouve plus la force de repartir, le vide et le silence. Il ne se fait pas d’abord Dieu, inaccessible, mais homme parmi les hommes. Avant qu’on ne contemple la profondeur de sa Passion, cette phrase nous révèle déjà l’humanité de Jésus. Elle nous permet de contempler son aptitude à rejoindre l’homme. 

La vulnérabilité de Jésus prépare à la précarité de l’issue finale.  On conjugue ici le don de Dieu avec l’idée d’un don qui s’efface, se fait petit, semble inutile. L’humble don d’un homme qui se met « à genoux ».    

Notre lecture diffère ici, quelque peu, de celle des affirmations du concile de Chalcédoine qui voyait, dans le contexte de la philosophie grecque, Dieu comme omnipotent et immuable. Ici, nous contemplons un homme que la résurrection nous a confirmé ensuite comme fils de Dieu et qui pourtant, dans ce récit, ressent la soif et la fatigue. N’y a-t-il pas souci d’humilité ? En parcourant le texte, nous en comprendrons peut-être le sens. Dans l’humilité du Fils, résonne comme une note symphonique qui répond à un phrasé plus ancien, ce petit être, déposé dans une mangeoire, que contemplera Luc en remontant au temps de la naissance et sous-entendant par là, à demi-mot, le pain offert au monde. Ici, de la même manière, le Fils d’homme se fait pauvre parmi les pauvres… 

 

« Jésus (...) s'était assis là, au bord du puits. » (4, 5-6) 

Le puits de Jacob… Ce lieu de la rencontre, nous l’avons dit, n’est pas un lieu anodin. Il s’insère dans une histoire qui remonte aux origines, à ce Fils d’Isaac, lui aussi perdu dans la pâte humaine. Et dans cette évocation, l’évangéliste nous introduit au sein même de la quête entre Dieu et l’homme depuis plus de mille ans. Dieu faible, assis au centre de l’histoire de la faiblesse de l’homme. 

Dans la tradition biblique, le puits - ou la source selon la traduction littérale du grec - fait échos à des thèmes récurrents de la bible hébraïque et, d’une certaine manière, sa reprise par l’évangéliste dans un contexte différent est une forme de révélation de la nature du Christ. Il introduit d’autres passages porteurs de sens. 

Puiser l’eau du puits est l’acte emblématique qui établit une alliance dans l’Ancien Testament. On peut relire la rencontre du serviteur d’Isaac avec Rébecca (Gn 24, 11ss), comme celle de Jacob et de Rachel (Gn 29, 2ss) ou celle de Moïse et Séphora (Ex 2, 16ss). La thématique des fiançailles est toujours en lien avec celle plus vaste de l’alliance. Que ce lieu rappelle celui où les patriarches ont rencontré leurs épouses pourrait être signe du désir de Jésus d’épouser à nouveau l’humanité. Il ouvre des perspectives dans la compréhension de l’importance, pour le lecteur habitué à ces schémas littéraires, de cette rencontre et des déplacements auxquels l’évangéliste nous conduit. On pourrait aller ainsi, à la suite de l’évêque d’Hippone, jusqu’à une méditation des fiançailles du Christ avec l’Église païenne symbolisée par la Samaritaine.

 Derrière cette évocation résonne également avec notre première évocation de l’un des textes les plus anciens de l’Ancien Testament, celui d’Osée, où Dieu invite le prophète à reprendre avec lui Omer, sa femme adultère. Là aussi, le phrasé symphonique résonne d’accents anciens, où Dieu cherche à séduire, à parler au coeur : » Mon épouse infidèle, je vais la séduire, je vais l'entraîner jusqu'au désert, et je lui parlerai c?ur à c?ur » (Osée 2, 16). 

Comme nous l’avons souligné, le texte grec ne parle pas d’ailleurs de puits, mais plutôt de source. La contemplation de Jésus assis à côté d’une source vive, celle donnée à Jacob (Dt 33, 28), est aussi une symbolique très forte.

D’autres passages porteurs de sens peuvent être aussi soulignés comme la rencontre d’Élie et de la veuve de Sarepta. Là aussi, l’homme de Dieu demande à boire à une étrangère et comme le souligne C-H. Rocquet, on ne sait lequel des deux apporte le plus à l’autre. C’est en bas de la tour d’orgueil, dans la soif d’une rencontre que se trouve la source vive.

En deux phrases nous voici plongés au coeur même de la pastorale de l’Ancien et du Nouveau Testament, cette quête amoureuse de Dieu qui s’agenouille devant l’homme. On y voit un homme-Dieu fatigué par la route sur les pas de l’homme et qui s’assoit pour tenter une ultime rencontre. 

s vivant parmi nous est notre seule raison d'être et notre unique objectif. Pouvons-nous en dire autant de nous-mêmes, à savoir que cela est notre seule raison de vivre ? » 

« Il était environ midi. » Jean 4, 6b. Quels sont les « midis » de Dieu ? Une pierre angulaire dans la longue histoire de l’humanité. L’instant aussi où la chaleur est la plus haute, la plus intense. Pour Jésus comme pour la Samaritaine, le choix de l’heure n’est pas anodin. Pour le Christ, c’est comme un sommet de la révélation, pour la Samaritaine, l’heure où, à cause de la chaleur, personne n’osera venir, elle ne se sentira pas jugée. C’est l’heure où règne le soleil et où l’homme se cache… 

 

« Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l'eau. » Jn 4, 7. 

On pourrait s’attendre encore, comme le raconte le chapitre précédent, à une autre rencontre au sommet avec un pharisien savant. Ici, ce n’est pas Nicodème et sa science, mais bien l’humanité dans sa pauvreté. Samaritaine, elle est paria aux yeux des juifs, descendante de cette race exilée de Babylone qui a adopté la religion juive, à moitié par contrainte. La Samarie s’est séparée définitivement du monde juif depuis quelques années déjà, même si l’ancien royaume du Nord a été à l’origine d’une étonnante fécondité théologique, la chute de Samarie (722), l’exil, le repeuplement et l’histoire ont conduit à d’importantes divergences de point de vue entre les deux peuples. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le récit. Cette femme peut être comparée à la nouvelle Gomer, comme l’aboutissement de la quête d’Osée. Faire un lien entre la femme d’Osée et la Samaritaine n’est pas anodin. Il nous plonge au cœur même du sens de l’alliance, d’un Dieu qui fera tout pour le « séduire » - au double sens d’allaitement et de séduction développé ai chapitre 1 - pour ramener son peuple à la source. Il rejoint ce à quoi notre pape nous invite : une pastorale de la périphérie.

La Samaritaine n’est pas meilleure que nous. Au contraire, on la considère comme une moins que rien et le contraste avec Nicodème devient source d’espérance. « La sagesse de ce monde est folie devant Dieu… », dira Paul (1 Co 3, 19)… En quittant le sommet de Jérusalem, en montrant que Nicodème n’a pas réussi à trouver la voie, Jean nous conduit plus loin, jusqu’au puits de Jacob, sur le terrain de l’humanité telle qu’elle était à l’origine. Et sur ce lieu où l’homme reste accessible par son humanité, se tient une rencontre entre le nouvel Adam et l'Ève qui continue de chercher Dieu. N’est-on pas, là encore, dans le domaine de l’« où es-tu ? » (Gn 3, 9) qui résonne, à nouveau, dans le jardin du monde ? Dieu est à la recherche de l’humanité sans fard, de la brebis perdue… Les orthodoxes traduiront cela dans une icône remarquable où Jésus est représenté, relevant Adam et Ève de l’enfer pour le sauver. Ce qui se passe est l’incroyable toujours renouvelé d’un Dieu qui se révèle à l’homme, quelle que soit sa situation, son état. Comme le précise le théologien K. Rahner, l’homme en toute condition peut faire une rencontre surnaturelle. Il lui reste un accès possible à Dieu. 


Jésus lui dit : » Donne-moi à boire. » Jean 4, 7b . 

Le voici donc ce cri. Là encore, il nous surprend parce qu’il ne vient pas de l’homme, mais du Fils de Dieu. Ici se révèle la faiblesse de l’homme fatigué qui crie sa soif. Plus qu’ailleurs de nombreuses résonances sont possibles dans cette simple affirmation. Elles nous ouvrent encore à la musique de Dieu. On peut entendre, au fond de l’histoire d’Israël, tous les psaumes du désert où l’homme crie sa soif de Dieu. On perçoit également, tous les assoiffés du monde qui lancent leur cri. En prononçant ce premier « j’ai soif », Jésus danse à nos côtés la danse des hommes perdus, desséchés, abandonnés et ce faisant, il se révèle plus encore homme parmi les hommes. N'y a-t-il pas, encore plus qu'ailleurs, un dévoilement de l'humilité du Fils... 

Le cri n’est pas, pour autant, lancé dans le vide. Comme l’ « où es-tu ? » de Genèse 3, il est aussi celui du Serviteur qui, en s’adressant à l’humanité, demande à boire. Il ne résonne pas comme le « retire tes sandales » d’Exode 3, mais à l’opposé même, comme en négatif, sur la « note » plus humble de celui qui se mettra « à genoux » pour laver les pieds de ses disciples. Il chante ainsi, comme nous le verrons, le même cri que sur la Croix. C’est donc la symphonie des cris de son amour pour l’homme qui se mêle dans une seule phrase. Elle se charge de tous ces cris passés et futurs. Dieu assis devant l’Ève debout et qui demande de l’eau. À la lumière de la croix et de la résurrection, nous percevons plus encore l’ampleur de cette « danse » de Jésus au pied de la femme… 


La Samaritaine lui dit : » Comment ! Toi qui es Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » (En effet, les Juifs ne veulent rien avoir en commun avec les Samaritains.) Jean 4, 9 


Le cri surprend. Il nous surprend, car venant de Dieu. Pour expliquer l’incongru, l’évangéliste nous précise l’absence des disciples. Cela n’enlève pas pour le lecteur de l’époque l’effet de surprise. Il surprend d’ailleurs la femme, car tous les codes qui régissent les contacts entre juifs et païens sont ici bouleversés. Jésus se rend impur dans ce contact, au nom de la loi juive. Au coeur des rejets réciproques, des haines ancestrales accumulées, un dialogue ténu s’est installé, entre une femme de rien et celui dont Jean nous a déjà dévoilé l’importance, mais qu’il nous montre ici, faible et fragile. Langage paradoxal où le plus grand rejoint le plus petit pour nous interpeller au cœur même de nos petitesses. Le dialogue n’est pas dans un rapport de force, mais dans la magie des mots de l’homme, dans l’expression d’un désir, d’un besoin, d’un manque… Derrière la soif de Jésus, peut-on aussi sentir celle de la femme, qui tout en venant à midi reste en quête de rencontres, demeure avide de relations ? 


Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : 'Donne-moi à boire', c'est toi qui lui aurais demandé, et il t'aurait donné de l'eau vive. » Jean 4, 10 


Ici l’évangéliste insiste sur l’écart entre la demande et la réalité du personnage. Pour un lecteur non averti, on pourrait croire qu’il s’agit du rétablissement d’une erreur. Mais n’oublions pas que ce texte est écrit et lu à la lumière de la croix et de la résurrection. Il introduit à cette vision de l’eau vive qui jaillit entre les lignes dans de nombreux chapitres de cet Évangile. Il nous amène à un aller-retour que l’on ne peut éviter entre la soif et la source évoquée dans ce texte (Jean 4) et la soif et la source du Christ en Croix (Jean 18, 28 & 34). Contempler l’échange de Jean 4, en ayant en tête le « j’ai soif » du Christ en Croix et l’eau qui jaillit du cœur transpercé, nous permet de voir qu’ici, Jésus ouvre une brèche que Nicodème ne voulait percevoir. Face au pharisien il était resté énigmatique – ou, pour le moins, l’évangéliste nous l’a présenté comme tel – ici, il donne à voir le mystère. Dans la tension ouverte entre la soif de Dieu et l’eau jaillissante, la Samaritaine est introduite au paradoxe central de la révélation. Derrière la faiblesse apparente de Dieu se cache une force vive. Derrière l’homme fatigué et assoiffé, Dieu est là, prêt à combler le chercheur de Dieu. Derrière le dieu « mort » pour les hommes, se révèlera le « Ressuscité ». 

Dans cet épisode de la Samaritaine, une nouvelle source se prépare. Et elle n’est pas réservée au peuple juif, mais offerte à toute l’humanité. Le passage évoque pour moi l’attente de Dieu. Sa soif est éternelle. Elle suit et précède son don toujours plus intense.

Plus loin, au chapitre 7, Jean affirmera : « Des fleuves d’eau vive jailliront de son coeur ». (Jn 7,38). Pour Benoît XVI deux types d’analyses sont possibles. La traduction alexandrine inaugurée par Origène (254), saint Jérôme et Augustin pense « que l’homme qui croit devient lui-même source, une oasis dont jaillit l’eau ». Une autre traduction moins répandue, mais plus proche de Jean, Irénée, Hippolyte, Cyprien et Éphrem modifie la ponctuation. « Celui qui a soif qu’il vienne à moi ; celui qui croit en moi qu’il boive ». Chez Thomas, 10, 6 (apocryphe) on lit « celui qui boit de ma bouche deviendra comme moi ». Le croyant s’unit au Christ. Il a part à sa fécondité. « L’homme qui croit et qui aime avec le Christ devient un puits qui dispense la vie ». On peut aussi y rattacher l’interprétation donnée par la parabole de la vigne et des sarments. Si l’on est soi-même source, c’est que l’on est rattaché à la vigne. Mais si l’on perd ce rattachement, ce qui coule « à travers nous » se tarit ou coule malgré nous, ajouterais-je presque.

La source de Jacob, qui divisait le monde juif de Samarie n’a finalement plus d’importance. Maintenant se dessine une nouvelle « eau vive » et si le Christ l’évoque ici, ce n’est pas aux sages et aux puissants, mais bien à celle qui se croyait abandonnée, jugée, méprisée et qui ne voulait plus s’afficher aux heures de foules. Le geste de Jésus qui vient puiser son eau est aussi fort que celui où il s’abaisse pour rejoindre la femme adultère, il se fait petit auprès des petits, avant d’être souffrant auprès des souffrants.

Elle lui dit « Seigneur, tu n'as rien pour puiser, et le puits est profond ; avec quoi prendrais-tu l'eau vive ? Serais-tu plus grand que notre père Jacob (...).  Jn 4, 11-12 

Comme sur les chemins d’Emmaüs, la révélation n’est pas pour autant éblouissante dès le premier instant. Elle demande un accompagnement. Le chemin intérieur parcouru par la Samaritaine est essentiel. Elle a été interpellée par l’affirmation. Elle entre, au-delà de la surprise, dans un dialogue plus profond. De co-assoiffée, elle devient co-chercheuse de Dieu. 


Jésus lui répondit : » Tout homme qui boit de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l'eau que moi je lui donnerai n'aura plus jamais soif ; et l'eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante pour la vie éternelle. » Jean 4, 13-14 


Alors Jésus poursuit son chemin. Il dévoile une ouverture nouvelle. Comme et au-delà de Nicodème, il s’agit d’une nouvelle naissance, d’un au-delà du contingent, de la soif humaine, une ouverture vers l’infini de Dieu, la vie éternelle. À la chaîne inéluctable, dans laquelle semble enfermé l’homme, une espérance surgit dans les mots de Jésus. La soif peut être surmontée, l’impossible humain peut laisser place à une autre vie. La mort peut donner naissance à une nouvelle vie. S’il a quitté le chemin de l’humilité, en affirmant son « je », ce n’est qu’au terme d’un parcours. Est-ce de la manipulation, une séduction malsaine, ou simplement un chemin de vérité ? L’humilité de départ n’était pas feinte. Elle n’avait qu’un but, rejoindre et aimer. Et le cœur aimant de Jésus, en introduisant la prédiction d’une eau vive, ne dévoile pas le prix qu’il payera pour que cette source jaillisse du désert de nos vies. 

Car la source jaillissante évoque déjà le sang et l’eau versés. Isolé, ce texte ne dévoile pas grand-chose. Rattaché à l’agonie et à la croix, il nous introduit dans le mystère même de la révélation. Du Jésus fatigué nous passons à celui qui est source pour le monde. Que de chemin parcouru !


La femme lui dit : » Seigneur, donne-la-moi, cette eau : que je n'aie plus soif, et que je n'aie plus à venir ici pour puiser. » Jean 4, 15 


La « danse » de Jésus a réveillé le désir. On perçoit ici le chemin pastoral qui s’est ouvert par cette attitude et ces échanges. À petits pas, en utilisant la surprise voire l’ironie, le récit nous montre comment Jésus a ouvert le coeur de la femme à un autrement… 

 

« Va, appelle ton mari et reviens ici » Jean 4, 16 


Ici, la pastorale prend une autre tournure. Non seulement elle réveille notre soif, mais elle met le doigt sur nos propres « adhérences* », sur ce qui nous retient loin de la source. Où sont « nos » cinq maris ? Sont-ils dans la course folle du monde, dans l’inutile ou l’éphémère, l’argent, le pouvoir, l’avoir ou le valoir ? En repartant sur la soif essentielle à l’homme, Jésus interroge la femme, l’interpelle sur l’essence même de sa quête. 

La suite du dialogue va poursuivre cette interpellation. Quels sont nos modes d’adoration ? Adorons-nous en esprit et en vérité ? Le chemin qui surgit à nous est celui d’une descente équivalente ou pour le moins, dans la direction de celui qui nous conduit. 

Alors, au bout de l’échange, vient la révélation ultime. 


« Moi je le suis (ego eimi) qui te parle…» (Jn 4, 26). 


Comme on le verra au jardin de Gethsémani, le « moi je suis » est l’éternelle réponse de Dieu à l’homme en quête. Viens et suis-moi… En reprenant les mots même de Dieu au Sinaï (cf. Ex 3 : « je suis celui qui suis »), on peut arguer que le Christ dépasse l’attitude de l’humble marcheur. Car ce qui se dit « ego eimi » en grec est réservé à Dieu et nombreux sont les textes où son emploi est reproché au Christ. Il nous faut donc mettre plusieurs bémols. 

Jésus n’est pas apparu, ici, en « Christ de gloire », pour les aider à croire à l’impossible de Dieu, comme il le fera aux trois apôtres – cf. la manière dont les synoptiques le présentent dans le récit de la Transfiguration. Ici, il ne fait que reprendre la phrase intraduisible (« je suis » d’Exode 3), que certains se proposent, comme nous l’avons vu plus haut, de traduire en un « je serais ce que je serais », l’affirmation humble d’un avenir qui révélera seulement qui il est… Nous sommes bien, comme suggéré plus haut, dans l’axe de la Croix.

Mais nous anticipons. Avant d'en arriver là, il y a encore des descentes et des montées et d’autres « Je suis » égrené dans le texte. Pour l'instant, c'est l'appel à la foi de l'homme qui est en jeu. Descendra-t-il lui aussi jusqu'à dire « j'ai soif » ?

Il faut accepter de continuer la lecture. C’est en effet, l’officier du Roi qui nous y préparera (Jn 4, 46). Il s'apprête à descendre. Et pourtant, avant même que son mouvement soit accompli, par la foi seule, son fils est guéri.

Il a été plus vite que Zachée, pour lequel Jésus avait dû descendre jusqu'à Jéricho... Descendre à Jéricho, nous disent les pères de l’Église, c’est, à l’inverse de la montée vers Jérusalem, une descente vers le monde. Ici, l’officier royal n'a même pas eu besoin de faire le voyage. Une leçon d'humilité ? Cette rencontre où l’un comme l’autre font acte de confiance : Jésus qui croit en l’homme malgré sa fonction et l’homme qui croit à Jésus nous fait entrer dans un double agenouillement : Jésus, à genoux devant la foi de l’homme de pouvoir, à genoux devant Jésus…

Commentaire du pape François :

Dans une belle méditation sur la Samaritaine, la première chez Jean à se laisser transformer pour annoncer la bonne nouvelle, le pape François a souligné combien la soif du Christ devient une « soif de rencontre » communicative, une source de dialogue et de joie,  le pape nous invite à vivre dans cette une unité qui « se fait sur le chemin (...) en marchant ».

« L’engagement commun à annoncer l’Évangile permet de dépasser toute forme de prosélytisme et la tentation de compétition », a-t-il souligné à ce sujet.  « Nous sommes tous au service de l’unique et même Évangile ! », a-t-il conclu, faisant de nouveau ressortir le fait que ceux qui persécutent aujourd’hui les chrétiens dans le monde ne distinguent pas l’Église à laquelle ils appartiennent. C’est ce que le pape François appelle « l’oecuménisme du sang », un chemin de sainteté qui n’est pas individuel, mais collectif.


À suivre


Extrait des références : 


- W. H. Vanstone, Love’s Endeavor, Love’s Expense, Londres, Darton, Longman & Todd, 1977, p. 57, d’après D. Brown, op. cit. p. 171.

- saint Augustin (Traité 15)

- R. Simon, Éthique de la responsabilité », Cerf, 1993,  p. 260

- pape François  Homélie à Saint-Paul-hors-les-murs du 25 janvier 2015.

- Hans Urs von Balthasar, la prière contemplative, p. 124

16 août 2022

En route vers la Galilée - 9 - Marie à Cana


Sur le chemin fragile que nous avons entamé depuis quelques semaines, la contemplation de Jean 2, 1-12 – Les noces de Cana interpelle alors que le crépuscule du 15 août s’efface dans la nuit tragique qui s’annonce.


« 1. Et le troisième jour, il se fit des noces à Cana en Galilée; et la mère de Jésus y était. 2. Jésus fut aussi convié aux noces avec ses disciples. 3. Le vin étant venu à manquer, la mère de Jésus lui dit : « Ils n'ont plus de vin. » 4. Jésus lui répondit : « Femme, qu'est-ce que cela pour moi et pour vous ? Mon heure n'est pas encore venue. » 5. Sa mère dit aux serviteurs : « Faites tout ce qu'il vous dira. » 6. Or, il y avait là six urnes de pierre destinées aux ablutions des Juifs et contenant chacune deux ou trois mesures. 7. Jésus leur dit : « Remplissez d'eau ces urnes. » Et ils les remplirent jusqu'au haut. 8. Et il leur dit : « Puisez maintenant, et portez-en au maître du festin; et ils en portèrent.

9. Dès que le maître du festin eut goûté l'eau changée en vin (il ne savait pas d'où venait ce vin, mais les serviteurs qui avaient puisé l'eau le savaient), il interpella l'époux et lui dit: 10. "Tout homme sert d'abord le bon vin, et après qu'on a bu abondamment, le moins bon; mais toi, tu as gardé le bon jusqu'à ce moment. » 11. Tel fut, à Cana de Galilée, le premier des miracles que fit Jésus, et il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui. 12. Après cela, il descendit à Capharnaüm avec sa mère, ses frères et ses disciples, et ils n'y demeurèrent que peu de jours. »


À Cana, le signe et la gloire qui en découle ne sont pas voulus par le Christ : « Femme, que me veux-tu ? ». Son heure n'est pas venue... Et pourtant, sur l'insistance de sa mère, sans révéler au maître du repas l'origine du vin, il change nos hésitations en boisson de joie... La lecture du récit nous donne un nouvel aperçu du couple « mort et résurrection », que l’allusion au « fruit de la vigne » vient souligner. 

À Nathanaël, il avait promis « le ciel ouvert » (1, 31), dès le chapitre 2, il « manifeste sa gloire » (2, 11). Comment cette gloire a-t-elle affleuré ? Il n’y a pas eu de trompettes. Ce que l’on a senti, entre les lignes, si l’on prend le temps d’entrer dans le récit, c’est un geste discret, humble que seuls quelques serviteurs peuvent décrypter alors que le maître du repas et les convives s'interrogent encore. Et c’est là où la gloire affleure. Non pas dans la trompette et les cors, mais dans cette invitation à porter nos eaux dans les jarres, un autre « où es-tu ? », un « que fais-tu des dons reçus ? » qui par l’action discrète de Dieu se transforme en vin capiteux.

Quel est l'enjeu ? N'y a-t-il pas ici toute la tendresse de Dieu qui se manifeste dans cette révélation, dans ce jeu entre le visible et l'invisible, en laissant croire ceux qui veulent croire et sans forcer ceux qui refusent de le faire... 

« Ils n’ont plus de vin » : Entre les lignes, cette tendresse maternelle de celle qui a porté notre Sauveur et qui déjà lui échappe devient par cette phrase, le porte-voix d’un Dieu qui entend la souffrance d’un peuple, qui écoute le cri des souffrants. On peut ici entrer en résonnance avec des textes plus anciens, jusqu’à ce verset d’Exode 3,7 croisé plus haut : « J’ai entendu le cri de mon peuple (...) je connais ses douleurs », qui feront dire à certains commentateurs que l’agonie du Christ commence à Cana…

Prenons un peu de recul sur ces deux récits. Certes, le prologue a clamé au lecteur que Dieu était là, que le Verbe se rendait présent. Pourtant, les gestes de Jésus sont plus humbles. Il ne surajoute pas à l’affirmation du rédacteur, mais trace, au-delà des mots, les conditions d’une rencontre. Nous ne pouvons rester seulement sur les affirmations et les exhortations d’un évangéliste qui affirme le tout de Dieu. Voyons aussi, entre les lignes, les attitudes, les gestes, l’humilité, car cette tension est plus féconde que la seule affirmation « d’en haut » d’un « Verbe de Dieu ». Au cœur de cette tension, se traduit un double discours qui affirme conjointement humilité et gloire. Ce discours chez Jean est plus visible que chez d’autres évangélistes. Marc par exemple n’affirme la divinité du Christ qu’au tout dernier chapitre. Jean ne porte donc pas uniquement une théologie « de haut en bas ». La symphonie de l’Écriture joue aussi, dans cet Évangile, un jeu à facettes multiples. Les couleurs correspondent, tracent une mosaïque plus complexe et plus intense. Sachons en distinguer tous les tons…


Méditation :

Plus qu’ailleurs la contemplation ignacienne de ce texte nous révèle notre propre chemin : remplir les jarres de « purification », les offrir à Dieu pour qu’il vienne faire de notre humanité un vin capiteux, « diviniser ce que nous essayons d’humaniser » dira F. Varillon. La scène de Cana est la convocation de nos efforts d’homme à rejoindre le plan de Dieu. En suivant les serviteurs qui peinent à remplir et présenter les jarres, nous progressons dans la dynamique sacramentelle propre qui s’est éveillée à Cana.


Revenons aussi sur le rôle de Marie. Elle n’est plus ici le seul réceptacle fragile du Verbe, mais l’on sent déjà que son humilité a laissé place à une danse à la fois tragique et humble entre l’humanité blessée et le Dieu de tendresse. Marie, par cette phrase discrète (« ils n’ont plus de vin ») entre déjà dans le déchirement fécond de cette kénose que nous évoquions plus haut. Elle danse déjà sur les pas de Dieu, avant le déchirement final qui fera d’elle vraiment une « figure » et un chemin pour nous.


Car cette remarque de Cana n’est pas anecdotique. Elle se fait écho d’une clameur plus profonde, celle du peuple au désert, de la soif de l’humanité altérée en quête d’un Dieu qui s’est retiré dans le silence. A sa suite nous contemplons ici déjà ce que Jean signale comme un troisième jour, la transformation de l’eau en vin, dans ce torrent promis par Ezechiel qui jaillira du cœur transpercé du Fils. Moïse a frappé le rocher et un fin filet d’eau abreuve le peuple. Par la voix d’une femme discrète s’ouvre déjà les prémices d’une eau vive et jaillissante ?


Photo 1 : Cana, vitrail de saint Lubin des Joncherets (28)

Photo 2 : fresque dans l’église prieurale de Lanville (16) XIIeme siècle

13 août 2022

En route vers la Galilée - 8 - Marie

 

En cette fête de l’Assomption, fête des superlatifs, peut-on revenir à l’essentiel ? 

Il y a, chez Luc, comme l’accomplissement d’une attente. Alors que dans les annonciations précédentes, le mystère restait opaque et la crainte régnait chez l’homme, l’évangéliste nous présente ici un cœur pur et déjà ouvert à recevoir la venue de Dieu. Sommes-nous parvenus avec Marie au terme de cette quête ? Est-elle la nouvelle Ève qui a entendu l’appel du jardin. 

La lecture de Luc, tardive, plus qu’historique est surtout spirituelle. Elle poursuit ce fil rouge que nous suivons depuis Osée.

Ici, l’ange reste médiateur du mystère. Il commence par un « Réjouis-toi ! » qui fait résonner les annonces de l’Ancien Testament (cf. So 3, 14-18, Is 60, 1-5 ou Za 9, 9-10) puis procède à une annonce progressive de cette maternité particulière. À la différence des mères stériles de l’Ancien Testament, elle sera mère du Messie, par l’action de l’Esprit Saint. Luc fait ici résonner dans un sens messianique les prophéties d’Isaïe :

 « Voici que la Vierge a conçu, et elle enfante un fils, et on lui donne le nom d'Emmanuel. » Is 7,14 


 «Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné ; l'empire a été posé sur ses épaules, et on lui donne pour nom : Conseiller admirable, Dieu fort, Père éternel, Prince de la paix : Pour étendre l'empire et pour donner une paix sans fin au trône de David et à sa royauté, pour l'établir et l'affermir dans le droit et dans la justice, dès maintenant et à toujours » Is 9, 5-6 


Son accueil est ici plus serein, plus total. La Vierge se fait réceptrice de Dieu et de sa parole.

Cette réceptivité à la parole sera un thème récurrent chez Luc, comme le note L. Legrand (1). 


On pourrait déjà mettre cette insistance de Luc en parallèle avec la phrase de Marie en Jean 2, 5 à Cana « Faites ce qu’il vous dira »…


Pour saint Augustin, elle doit cela seulement à son humilité : « Toute mon ambition, c'est mon humilité ; voilà pourquoi «mon âme grandit le Seigneur, et mon esprit a tressailli en Dieu mon Sauveur (Lc 1,47) » ; car il a regardé, non pas ma tunique garnie de nœuds d'or, non pas ma chevelure pompeusement ornée et jetant l'éclat de l'or, non pas les pierres précieuses, les perles et les diamants suspendus à mes oreilles, non pas la beauté de mon visage trompeusement fardé ; mais « il a regardé l'humilité de sa servante ».


Rappelons, dans la même lignée, le mot du Cardinal de Bérulle sur la naissance de la Vierge : « Elle naît à petit bruit sans que le monde en parle… Mais si la terre n’y pense pas, le ciel la regarde et Dieu l’aime… Il la regarde, la chérit, la conduit, comme celle à qui il veut se donner comme fils. »


Il fallait à l’apogée de la révélation un écrin particulier, vierge de toutes contradictions et d’influences. C’est dans le cœur simple d’une femme qu’il a choisi de déposer son message, de même qu’il cherchera à inscrire son Esprit, au-delà de nos raisonnements et de nos mouvements sensibles, au plus profond de nos cœurs écoutants et disponibles. 

 « Et je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai au-dedans de vous un esprit nouveau ; j'ôterai de votre chair le cœur de pierre ; et je vous donnerai un cœur de chair » Ez, 36, 26. 


Luc 1, 28-29 – Je te salue, comblée de grâce

28 L’ange entra chez elle, et dit : Je te salue, toi à qui une grâce a été faite ; le Seigneur est avec toi. 29 Troublée par cette parole, Marie se demandait ce que pouvait signifier une telle salutation.


La tradition a fait de cette salutation le début de notre prière à Marie. Il y a en effet chez l'ange comme une vénération. Il sait que Dieu l'a choisi pour demeure, pour temple de Dieu. Cela fait résonner les paroles de l'apôtre. Vous êtes le temple de Dieu. Marie est la première sur ce chemin.


Contemplons maintenant la Vierge, son trouble face à cette annonce. Dans une petite cellule du musée San Marco à Florence, le peintre Fra Angelico a bien rendu le visage de la Vierge après la parole de l'ange. Elle est dépassée par ce qu'elle perçoit. 


On sent sur son visage l'ampleur de ce qui l'attend. Elle semble bien frêle et fragile cette vierge sur laquelle repose l'avenir de l'humanité. Quel contraste avec Zacharie, le prêtre vêtu de tous ses ornements et entouré de l'encens qu'il projette sur l'autel ! Ici, la tradition imagine une visite nocturne, dans le silence d'une petite ville de Galilée... Le pèlerin revoit cette bourgade perdue sur le flanc d'une colline. Que vient faire l'ange ici. Écoutons-le !


Luc 1, 30-33 – Ne crains point

30 L’ange lui dit : Ne crains point, Marie ; car tu as trouvé grâce devant Dieu. 31 Et voici, tu deviendras enceinte, et tu enfanteras un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus. 32    Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père. 33 Il régnera sur la maison de Jacob éternellement, et son règne n’aura point de fin.


Jésus, ce qui veut dire « Dieu sauve ». Ici, l'action humaine, le culte sont réduits à néant. Il s'agit d'une réception pure : le don de Dieu. Dans la liturgie nuptiale, on peut entendre la réponse sacramentelle qui est signe de l'alliance même de Dieu et de l'homme : « Je te reçois et je me donne à toi ». 


Ici aussi la réception dépasse de loin le don, même si celui-ci sera total. Car ce qui est donné de manière unique à la Vierge est ce don de Dieu fait homme. Prenons distance sur ce petit village de Nazareth, ce bout du monde, loin du Temple où l'on n'attendait rien. Certes, il y avait quelques prophéties passées que les phrases attribuées à l'ange semblent rappeler (cf. Za 9, 9 : « Exulte de joie, fille de Sion ») ou Is. 7, 14 : « une jeune femme est enceinte », mais on est bien dans un lieu qui semble abandonné de Dieu, dans un pays sous la coupe de l'envahisseur, dans un monde où la foi semble avoir quitté le peuple. 


Et c'est là que Dieu a choisi d'habiter, mettant ainsi l'espoir là où on ne l'attendait plus.

Il y a là pour tous, même aujourd'hui, un signe d'espérance...

Le lecteur d’aujourd’hui est en droit cependant d’affirmer son scepticisme. Comment est-ce possible qu’une vierge puisse enfanter ? Les réponses de la Tradition sont multiples. Elles interpellent la foi et le mystère. Le rationalisme moderne peut rejeter tout cela. 

Il y a néanmoins, quelque chose qu’il ne peut rejeter : la lecture spirituelle. Déjà, dès les premiers siècles, certains pères de l'Église pratiquaient cette prise de distance par rapport aux faits. Ainsi Grégoire de Nysse parlait des plaies d’Égypte comme les tentations intérieures de l’homme et non comme les punitions d’un Dieu vengeur. Et son interprétation permettait de dépasser la non-historicité d’un récit ancien.

Alors, si nous n’avions qu’une lecture croyante, que voudrait dire la virginité de Marie ? Peut-être la seule contemplation qu’au-delà des contingences matérielles, le don de Dieu, quel qu’en soit les formes est immenses et dépasse notre raison. La naissance virginale est-elle une légende ? Peut-être, même si ce n’est pas ce qu’affirme l'Église. Ce qui compte demeure : comment accueillons-nous dans nos vies l’infini de Dieu ?


Luc 1, 34-37 – Rien n’est impossible à Dieu

34 Marie dit à l’ange : Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme ? 35     L’ange lui répondit : Le Saint-Esprit viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C’est pourquoi le saint enfant qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu. 36 Voici, Élisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils en sa vieillesse, et celle qui était appelée stérile est dans son sixième mois. 37, Car rien n’est impossible à Dieu.


« Couvrir de son ombre » Il faut contempler cette nuée du Seigneur qui accompagne la pérégrination du peuple de Dieu dans le désert. C'est dans cette nuée où réside Dieu quand il se manifeste à l'homme (cf. notamment Ex. 33, 9 et 34, 5) que le mystère de l'impossible prend naissance. Luc ici nous appelle à un acte de foi du même type que la résurrection. De même que Dieu ressuscitera Jésus, de même la Vierge enfantera un fils. Va-t-on faire ce saut de la foi sans quoi rien n'a de sens ? Marie n'a pas demandé de preuve comme a pu le faire Zacharie, pourtant l'ange lui donne un espoir : même la femme stérile peut donner naissance. Ici la puissance du Dieu caché se révèle dans la nuée. Rien n'est impossible à Dieu. (cf. aussi Gn 18, 14)


Luc 1, 38 – Je suis la servante du Seigneur

38 Marie dit : Je suis la servante du Seigneur ; qu’il me soit fait selon ta parole ! Et l’ange la quitta.


Fiat marial. 

Que dire ? 

On ne peut que contempler cette réception mariale, ce qui n'est que renoncement à toute prétention humaine, ce que l'on pourrait appeler la kénose de Marie qui entre en vibration avec la kénose trinitaire. Ce terme savant, qui n'est que la reprise du terme grec de ekenosen : se vider est surtout dit du Fils qui se vide de lui-même (cf. Phil 2, 7 : il s'est anéanti, prenant la condition de serviteur). Mais n'est-ce pas là aussi ce que fait Marie, qui entre ainsi, de plan pied dans cette danse trinitaire. Si Dieu a tout donné en son Fils, s'il s'est dépossédé de sa puissance pour prendre la condition d'un enfant d'homme, d'un embryon « à-venir », que dire alors de celle qui devient le réceptacle de ce don. La danse nuptiale est dans ce « je te reçois et je me donne à toi ». Certes, la Vierge ne sait pas encore jusqu'où ira ce don, mais l'on peut le pressentir, en concevoir, à l'aune de notre propre connaissance de sa vie, combien ce renoncement est de fait une kénose.

On pourrait s’arrêter sur la Vierge. Ce serait passer à côté de quelque chose de plus grand. On contemple souvent en effet Marie sous l'angle de l'humanité, mais comme le souligne Adrienne von Speyr, on devrait aussi contempler le Père, qui en confiant son Fils au sein d'une Vierge, amorce le mouvement même d’une kénose à laquelle le Fils pourra répondre.

Le renoncement de Dieu, sa paternité, c’est faire confiance à cette graine de moutarde, déposée au creux de l’humanité, dans le plus beau des Temples. Un abandon de toute volonté de puissance, de règne et de royaume. Là est aussi la kénose. 

Quel pari fou sur l'homme ! N'est-on pas déjà dans le mouvement même de l'abandon et de l'agenouillement de la Trinité qui, par amour, se fait faiblesse pour que l’homme entre dans sa danse ?


Le désir d’un « Dieu qui vient à l’homme »avait besoin d’une réponse et cette réponse est celle fragile, si bien illustrée par Fra angelico d’une jeune fille surprise par cette sollicitude et qui ose répondre oui, mais mieux encore « fiat » sur le bout des lèvres dans le creuset d’un village perdu de Nazareth.


Il faut mettre peut-être ici aussi en perspective cet « où es-tu ? » de Dieu lancé à Adam ET Ève dans le jardin (2) pour contempler que c’est une petite bergère de Nazareth qui a répondu la première et totalement à cet appel de Dieu.


Le chemin de Marie ne sera pas un long fleuve tranquille. Avant peut-être de vénérer celle qui a dit oui, il nous faut contempler dans le silence ce chemin.


Que célébrons nous aujourd’hui finalement ?

Plus que l’assomption de la vierge Marie, c’est l’ensemble du mystère de la venue du Christ sur terre qui est à contempler.


Marie est l’écrin fragile de notre salut.


Mais qui est-elle véritablement ? Entre la jeune fille fragile que nous idéalisons et la femme-disciple que nous présente Jean à Cana, il existe une tension à maintenir.

Marie n’a pas été dès le début nimbée de lumière et de grâce mais a suivi un sentier qui nous interpelle. 

Marie est en effet au cœur de notre humanité celle qui répond probablement le mieux à l’appel de Dieu, celle qui comprend EN sa chair toute humaine, l’enjeu de la venue du Christ, marche à sa suite et répond à cet appel originel de Dieu(Gn 3,5), évoquée plus tôt. Elle devient en cela chemin pour nous. 

Ce que nous font découvrir les textes de d’aujourd’hui n’est-il pas finalement que, dans le mystère de cette naissance, de cette femme habitée par la grâce divine, bouleversée par la venue du Christ EN son humanité (3) et dans le jusqu’au bout de son Amour, c’est la vocation de tout baptisé qui est surtout à contempler.

Dans la liturgie de la veille au soir du 15 août l’évangile interpelle notre propre manière de recevoir le Christ : L’Évangile de Luc ( 11, 28) insiste même dans le sens de tout ceux qui comme moi souvent rejette une idéalisation excessive. Relisons bien ce texte qui surprend la veille du 15/8 :

« En ce temps-là, comme Jésus était en train de parler, une femme éleva la voix au milieu de la foule pour lui dire : « Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri ! »

 Jésus déclare alors : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » Ces propos sont choquants a priori. 


Jésus « n’efface » pas sa mère mais insiste bien sur ce basculement entre la figure mariale et l’appel renouvelé à notre vocation. 


L’assomption n’est pas seulement en effet la fête de Marie. 

Elle ouvre une espérance particulière pour l’humanité que le magnificat vient amplifier, en faisant vibrer à nouveau l’espérance du peuple de Dieu, de tout ce que portait l’AT. 


« Mon âme exulte le Seigneur car ce dernier disperse les superbes et vient élever les humbles, combler de biens les affamés, renvoyer les riches les mains vides, relever Israël son serviteur ». 


Le cri de Marie est notre joie : « Dieu se souvient de son amour ».


Dans le tressaillement d’Elisabeth que nous donne à contempler Luc se retrouve à sa manière cette espérance du peuple en marche et donc notre propre espérance. 


Oui Dieu vient nous visiter…

À chaque fois que la Parole prend chair en nous, qu’elle fait en nous sa demeure, l’assomption prend sens, quand nous tressaillons, à la suite du Baptiste, de la joie du don de Dieu qui veut nous habiter.(5)

Le rêve de Dieu devient notre danse… 


« Heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! »


Le mystère de l’assomption c’est que Dieu veut habiter TOUT homme. 


Le mystère c’est que Dieu souhaite prendre chair EN nous et que sa victoire sur la mort ne viendra que lorsque nous serons un, femmes et hommes, dans la contemplation du Verbe de Dieu, de cette Parole qui prend chair dans notre chair, nous transforme… 


Il y a peut-être ensuite un parallèle théologique à faire entre Philippiens 2 (et notamment le « c’est pourquoi » du verset 9 qui souligne que Jésus est relevé car il s’est vidé de lui même) et le dogme de l’assomption. Au delà du chemin intérieur de Marie, à rapprocher peut-être de la conversion même du Christ dont parle Sesboué dans sa « pédagogie du Christ (7), le chemin intérieur de Marie est aussi marqué par une forme de kénose. Or ce dessaisissement de soi qui s’exprime notamment dans son fiat, si bien traduit par Fra angelico, peut justifier que l’Église ai souhaité lui donner une place particulière que la tradition a cristallisé dans un dogme. Sans valider les excès d’une mariolatrie excessive si bien dénoncée par Congar(6), on peut néanmoins s’interroger sur la distance qui demeure entre le chemin vectoriel (c’est-à-dire qui nous pousse à grandir et kénotique de la vierge Marie et notre propre chemin et en tirer une forme d’interpellation, d’humilité à défaut d’une vénération…


Il y enfin un thème que l’on peut également contempler dans le « en Christo » paulinien(6), c’est finalement la danse mariale particulière de celle qui a été habitée par le Verbe et est donc devenue contenant de l’insaisissable, ce qui pour reprendre la théologie de Karl Rahner donne à la vierge, un autre chemin vectoriel pour nos eucharisties et fait résonner nos tressaillements intérieurs avec ceux de toutes les mères à commencer par Elisabeth.(7)

Être en Christ et recevoir en soi celui qui nous invite à faire Corps…


(1) Lucien Legrand, in L’annonce à Marie, p. 99ss, Lectio Divina n° 106, Cerf, 1981

(2) au sens de l’ « en christo » souligné par Hans Urs von Balthasar dans sa Dramatique 

(3) voir mes écrits divers sur le thème du tressaillement et notamment mon roman « le vieil homme et la brise »

(6) Sesboué y soutient que le Christ n’a qu’une conscience progressive de son rôle, une idée que j’ai toujours trouvée intéressante pour percevoir l’interaction entre humanité et divinité

(7) je pense notamment à son deuxième tome du journal du concile

(6) cf. note 5

(7) J’ai longuement développé ce point dans « danse trinitaire » puis dans « A genoux devant l’homme »

En route vers la Galilée - 7 - danse johannique

 

Je poursuis ce long travail de relecture et de simplification de mes « lectures pastorales » et parviens, sur la pointe des pieds vers la contemplation de Jean 1.

Voici un extrait de ce qui consistera une partie du chapitre 15.

——

Jean 1, 29-34 – La descente de l’Esprit

29. Le lendemain, Jean vit Jésus qui venait vers lui, et il dit : « Voici l'agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché du monde. 30. C'est de lui que j'ai dit : « un homme vient après moi, qui est passé devant moi, parce qu'il était avant moi. » 31. Et moi, je ne le connaissais pas, mais c'est afin qu'il fût manifesté à Israël que je suis venu baptiser dans l’eau. » 32. Et Jean rendit témoignage, en disant : » J'ai vu l'Esprit descendre du ciel comme une colombe, et il s'est reposé sur lui. 33. Et moi je ne le connaissais pas; mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau m'a dit: Celui sur qui tu verras l'Esprit descendre et se reposer, c'est lui qui baptise dans l'Esprit-Saint. 34. Et moi j'ai vu et j'ai rendu témoignage que celui-là est le Fils de Dieu. »


En face du Baptiste s'avance un homme qu’il décrit comme l'agneau de Dieu. Dans les autres récits de baptême, chez les Évangiles que l’on appelle « synoptiques », on peut observer l’insistance sur le geste de soumission de Jésus. Il accepte de recevoir le baptême de l’eau. L'évangéliste Jean ne reprend pas ce détail, à la différence des trois autres. Par contre, il introduit cette image, très chargée symboliquement de l’agneau. Si Jean-Baptiste utilise ce symbole, c’est peut-être pour traduire une impression plus profonde... Le baptême par Jean n’est finalement que le symbole/sacrement de ce qu’il annonce : la mort véritable, celle de l’agneau. On est donc à un deuxième stade d’écriture et on contemple et prépare ici le sacrifice de celui qui va être « immolé » à Pâques (cf. Exode). Il rappelle donc, dès le début de l’Évangile, la Pâque du Seigneur. 

Cette référence dépasse donc la simple humilité d’un Jésus qui se mettrait sous la coupe de Jean pour recevoir le baptême. Elle ouvre dès le départ une tension. Entre le symbole de l’agneau et le Christ, s’esquisse un chemin qui passant par l’humilité et la Croix rendra possible la gloire. Par les mots du Baptiste se résume l’axe humilité - gloire qui lui permet d’affirmer qu’il a vu « l'Esprit, telle une colombe, descendre du ciel et demeurer »... L’humilité du Fils est la clé de sa gloire : » j'ai vu et j'atteste qu'il est lui le Fils de Dieu »... (1, 34). Comme dans le passage de la kénose* à la gloire de Philippiens 2, il y aurait donc un lien étroit entre l'abaissement du Fils et la gloire qui se manifeste... Le rédacteur nous introduit, dès le début à cette liaison, certes complexe, mais constitutive de cette relecture post-Pascale des événements.

Étudions de plus près comment cela est construit : « Le lendemain, Jean vit Jésus qui venait vers lui. »  Nous avons changé de jour et l’arrivée du Christ modifie le sens global de la scène. Jean n’est plus seul, il a une vision. Rappelons-nous ce que nous avons esquissé plus haut et qui prend maintenant sens, ces récits des théophanies* de l’Ancien Testament dont on retrouve les traces « types » dans ce récit. Elles sont souvent structurées par un temps d’humilité de celui qui assiste, puis la manifestation de la gloire (ici la colombe) suivie d’une crainte. Même si, ici, les choses sont plus succinctes, tout est symbolisé et l’insistance est la même : Jean Baptiste n’est plus à la hauteur. Il vient le Messie, l’oint de Dieu. 

« Voici l'agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché du monde. » Ce n’est pas un simple animal prêt pour le sacrifice, mais l’agneau « de Dieu », celui qui libère le monde de tout ce qui l’empêche d’aimer. Contemplons cette affirmation, prenons le temps de comprendre le lien étroit, affirmé ici entre le sacrifice de l’unique et le salut. La mort de l’agneau innocent est, comme le dira si bien René Girard, le signe que le monde se trompe. En sacrifiant l’innocent, il fait apparaître sa folie, il dévoile nos mimétismes violents. La mort de l’agneau révèle le mal. On entend déjà ce que E. Wiesel suggérait à propos d’un jeune condamné dans un camp nazi : quand la folie du monde va jusque-là, le Christ est là, non du côté des bourreaux, mais des victimes. La mort de l’agneau, c’est l’échec de l’homme sans Dieu, et la révélation de l’amour. C’est l’aboutissement [et la victoire] de ce plan particulier qui, par l’humilité de Dieu, nous dévoile sa tendresse.

30. C'est de lui que j'ai dit : « un homme vient après moi, qui est passé devant moi, parce qu'il était avant moi. » : On retrouve le verset 15 et du même coup le thème du prologue, agrafé ici en arrière-plan. Décortiquons maintenant ce verset. Il vient après, en tant qu’homme, mais il passe/passera devant par son humilité, car il est avant moi, il est le Verbe, du commencement. Gymnastique conceptuelle d’une étonnante concision, mais qui recentre le prologue, le résume et ouvre à la théophanie, à la révélation du mystère.

 31. Et moi, je ne le connaissais pas, mais c'est afin qu'il fût manifesté à Israël que je suis venu baptiser dans l’eau. » :  Je ne le connaissais pas. Chez Jean, on oublie les évangiles de l’enfance de Luc et Matthieu. Ou plutôt, ils deviennent anecdotiques, car la non-connaissance évoquée par Jean est probablement sa non-perception de l’ampleur de ce qui va être révélé : il ne le connaissait pas, parce qu’il ne peut connaître Dieu. Souvenons-nous du « je ne suis pas digne de délier la courroie de sa chaussure ». Jean se sent petit et pourtant, il a perçu, ou peut-être est-ce l’évangéliste qui le présente comme tel, qu’il est précurseur, premier annonciateur d’un mystère « inconnaissable ». À lui revient de manifester à Israël celui qui est…

32. Et Jean rendit témoignage, en disant : « J'ai vu l'Esprit descendre du ciel comme une colombe, et il s'est reposé sur lui ». Prenons le temps de contempler ici ce que l’évangéliste révèle, tout en rappelant que chez Marc, cette affirmation, esquissée en Marc 1, 9 par la voix du Père : « Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j'ai mis mes complaisances. » n’est véritablement révélé que dans la bouche du centurion, à la fin de l’Évangile. Ici, nous sommes face, dès le départ au coeur de l’extrait du message porté par le prologue. Il n’est plus énoncé dans l’ordre conceptuel, mais au sein d’un témoignage. Les versets 32 et suivants décrivent cette manifestation indescriptible que le prologue annonçait : « l’Esprit repose sur lui ». Il est l’oint de Dieu… 

Pour le lecteur juif, cette petite phrase fait résonner l’ensemble du texte d’Isaïe qui annonçait la venue du Messie et qui commence par cette phrase : « Voici mon serviteur, j’ai mis mon Esprit sur lui ; il répandra la justice parmi les nations ». (Isaïe 42, 1). Mais il ajoute aussi cette vision particulière de la descente de l’Esprit : une vision qu’il ne peut qualifier que par un « comme une colombe »… Ce texte, cette révélation est soulignée par la grande structure concentrique qui forme comme une explosion de répétitions enchevêtrées – on compte ici jusqu’à 5 niveaux –  aperçues entre les lignes et que nous représenterons comme suit en faisant apparaître les oppositions successives entre la non-connaissance et l’apparition, ces « j’ai vu successifs » qui forment contraste et soulignent, insistent, reviennent sur le coeur du message. Jean joue avec les expressions, les fait danser, insiste au point que le lecteur ne peut plus ignorer l’importance de ce qui se joue là. Écoutons-en la musique :


26. « Moi je baptise dans l'eau; mais au milieu de vous il y a quelqu'un que vous ne connaissez pas, 

27. C'est celui qui vient après moi; 

je ne suis pas digne de délier la courroie de sa chaussure. » 

29. Le lendemain, Jean vit Jésus qui venait vers lui, et il dit : « Voici l'agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché du monde. 30. 

 « un homme vient après moi, (...) 

31. Et moi, je ne le connaissais pas,   (...) 

que je suis venu baptiser dans l’eau. »

J'ai vu l'Esprit descendre du ciel comme une colombe, 

et il s'est reposé sur lui. 33. 

Et moi je ne le connaissais pas; 

mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau 

 m’a dit 

tu verras l'Esprit descendre 

et se reposer, 

c'est lui qui baptise dans l'Esprit-Saint. 34. 

Et moi j'ai vu et j'ai rendu témoignage que 

celui-là est le Fils de Dieu. »


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Pour mémoire, la version très détaillée avec notes, de ce que je retravaille et cherche à simplifier ici est déjà téléchargeable gratuitement sur Kobo sous le titre « Dieu dépouillé » (1700 pages) ou publié sur Amazon dans le tome 2 de ma trilogie : À genoux devant l’homme. 


Photo : baptême de Jésus, cathédrale de Chartres.